Le 5 septembre 2021, la trajectoire de la Guinée – indépendante depuis bientôt 63 ans – a à nouveau basculé. Dans le plus grand des secrets, le renversement d’un Président, aveuglé par les fumées de l’autocratie, se confortant dans l’autosatisfaction, a été organisé puis exécuté avec une maîtrise certaine. Stupeur dans le pays : le Président Alpha Condé, un homme entêté et sûr de lui, a été écarté.

Mais qui est-il, cet homme, celui qui a osé ? Rapidement, nous parcourons des articles de presse de plus en plus étoffés sur le personnage. Le changement ainsi acté possède un nom, un visage : celui du Colonel Mamady Doumbouya, Président du Comité national du rassemblement et du développement (CNRD).

Trahison pour les uns, libération pour les autres

Si les scènes de joie infinie prennent place dans les rues de Conakry, certains se veulent plus mesurés et attentifs. Nous n’avons encore que trop bien en tête, la météorite Dadis Camara. Et si la gestion catastrophique d’Alpha Condé laissait place à une gouvernance militaire encore plus désastreuse ? Et si les Guinéens, pris à la gorge par un pouvoir d’achat inexistant, l’absence d’infrastructures sociales de base et le manque de liberté d’expression, avaient trouvé plus épouvantable que Condé ? De plus, les deux hommes étaient proches, quelques petites voix s’étaient même élevées pour taxer le Colonel Doumbouya de traître, avant de se raviser car après tout, ce n’est pas la loyauté qui fera bouillir la marmite.

Les plus prudents veulent laisser le temps au temps. Ainsi, depuis le 5 septembre, nous avons successivement observé la mise à l’écart du Président déchu, la convocation des anciens membres du gouvernement à une rencontre expéditive, la confiscation de leurs moyens de déplacements, l’interdiction des mouvements de soutien au CNRD, la libération des détenus politiques et enfin, – lueur d’espoir -, l’ouverture de concertations nationales devant déboucher sur la création d’un gouvernement de transition. 

Espoir d’une réinitialisation de la matrice socio-politique guinéenne

Si les publications potaches vantant la carrure et le physique du Colonel Doumbouya se succèdent sur les réseaux sociaux guinéens, c’est pour ses actes qu’il est principalement attendu. Et même pour ceux qui doutent, l’organisation de ces consultations – les plus inclusives que j’ai vues, car il y a consultation nationale et consultation nationale  -, ont créé une lueur d’espoir. Alors on veut croire qu’il est possible de tout recommencer, que l’on peut forcer le reboot de nos mentalités, nous obliger à aller vers la discipline, la méritocratie. 

La volonté du Colonel Doumbouya d’associer tout le monde à la reconstruction de notre pays est une bouffée d’air frais, surtout après avoir expérimenté les morsures de la division, accentuée par l’ancien régime.

Alpha Condé n’avait de projet que l’ethnicisation du débat politique pour accéder et se maintenir au pouvoir.

Avec courage, Mamady Doumbouya a regardé la vérité en face : “ si nous sommes ainsi réunis aujourd’hui c’est que vous les élites, nous les militaires, avons échoué” a-t-il avancé. Un constat implacable. 

Ce sursaut de l’histoire, encore fragile, doit être utilisé à bon escient. Cela commence par séparer le grain de l’ivraie : aussi bonnes soient nos intentions, tout le monde n’est pas légitime dans la reconstruction de la Guinée. De ce fait, tout le monde ne peut y contribuer. Certains ont déjà joué leur sombre partition et faire preuve de patriotisme, c’est aussi bannir ceux-là. Ceux qui ont soutenu le troisième mandat, les sangsues du précédent régime, qui ont sucé à blanc les veines du pays sont disqualifiés. Les jeunes et vieux, qui placent la primauté de leur ethnie au dessus de l’intérêt de la Guinée doivent être exclus. Les troubadours, adeptes du griotisme, doivent céder la place aux travailleurs. C’en est assez !

À Lire : “Marcher et Mourir : Rapport d’Amnesty International sur les manifestations en Guinée

Pour les générations futures, pour l’immense projet de la Guinée que nous avons en commun, nous ne pouvons plus nous permettre de rater cette ultime occasion qui nous a été offerte de remodeler nos institutions, de dessiner un paysage politique un peu plus sain. Mais l’accouchement de la grande nation que nous voulons, à l’issue de cette période trouble, ne se fera pas sans douleur. Sans que chacun d’entre nous exorcise ses maux intérieurs, qui nuisent à la Guinée : la médiocrité, la paresse, la corruption.

Garder le cap envers et contre tout

Dans sa volonté affichée d’ancrer la démocratie en Guinée au terme de la transition, Mamady Doumbouya devra se rendre un seul service : celui d’être sourd aux sirènes de la flatterie, de la manipulation régionaliste et de l’appel au gain facile. 

Peut-être ne le sait-il pas encore, mais son chemin est parsemé d’embûches car la Guinée, telle qu’elle se présente aujourd’hui, est infestée de détournements, victime de la mainmise de puissances occidentales habituées au clientélisme de nos dirigeants. 

Il existe peu de Guinéens, dans le secteur public ou privé qui n’ont pas développé de systèmes parallèles d’enrichissement illicite. Mais le plus grand chantier du Colonel Doumbouya est moral :

c’est de faire entrer dans nos habitudes, le concept d’intégrité, le goût du travail, l’aversion pour le vol de deniers publics et le sens du sacrifice pour la patrie.

Les paroles de Mamady Doumbouya se veulent rassurantes et nous lui accordons le bénéfice du doute sur ses intentions. Mais combien de temps cela va-t-il durer avant qu’il ne se laisse contaminer, détourner de son cap ? Parviendra-t-il à déjouer les pièges que lui tendront, – à n’en pas douter -, ses propres compatriotes ? À tordre le cou du chantage affectif ethnique ? À garder la tête froide ?

Nous avons plus que jamais envie d’y croire, pendant ce rendez-vous avec notre destin.

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