Je ne sais pas si la refondation tant annoncée du CNRD est arrivée mais elle n’est de toute évidence pas passée par le Ministère guinéen de la sécurité intérieure. Pour se lancer dans cette arène, il faut s’habiller comme un fou et s’apprêter à rejoindre un monde de fous, le chaos. 

Je suis arrivée à Conakry avec mon fils qui a une double nationalité dont l’une est Guinéenne, que je lui ai transmise par filiation. Attachée au fait qu’il aie des documents administratifs de son autre pays, j’ai entamé les démarches inhérentes à l’obtention de ce document. Tout en me doutant bien que je passerais un mauvais quart d’heure.

Un contact, tu auras

Tous ceux qui tentent d’obtenir un nouveau passeport en Guinée vous le diront : il faut avoir quelqu’un de l’intérieur. On a tous dans nos familles, un contact pour accélérer les choses, afin d’éviter que notre dossier erre dans les limbes administratives. Ma mère a deux contacts, j’en ai un nouveau, une connaissance qui y travaille depuis peu. En raison du nom de famille de mon fils, je redoute que l’on retoque son dossier, alors qu’il dispose pourtant de son certificat de nationalité guinéenne. Parce que c’est un Ministère qui travaille directement avec la population, celle-ci ne cesse d’être extorquée.

Le roi, argent 

Le calvaire commence à la porte d’entrée, où les agents filtrent les entrées au faciès. Certains foncent vers le portail tête première, sans s’arrêter. C’est peut-être leur parfaite assurance qui intimide les gardiens. D’autres par contre doivent négocier leur entrée dans cette immense cour dans laquelle se tiennent quelques bâtiments à la façade rénovée et les hangars qui ont fait la triste célébrité de ce Ministère. En effet, ce sont dans ces hangars que les gens attendent qu’un agent administratif veuille bien signer leurs dossiers afin de faire avancer leur procédure. 

Ce qui caractérise cette administration, c’est la circulation ahurissante d’argent de mains en mains tout au long de la journée. Une vraie mafia se tient dans l’enceinte de ces bâtiments, où un billet doit être glissé pour chaque petite signature, chaque étape de notre dossier.

La DAJ de toutes les terreurs


Arrivée au portail, je décide donc de faire jouer l’intervention de ce nouveau contact qui réussit à convaincre les gardiens en tenue policière, de nous laisser entrer, ma mère, mon fils et moi. Cette connaissance nous attend à l’intérieur. Très vite, nous nous rendons ensemble dans un bureau un peu spécial, celui de la Direction des Affaires Judiciaires, la DAJ. C’est ici, qu’une “enquête” est menée sur l’authenticité des documents fournis par les personnes au même profil que mon fils : binationaux, étrangers naturalisés, etc. 

Nous devons d’abord y déposer une demande avec tous les documents, si celle-ci est acceptée et signée, elle sera autorisée  à franchir l’étape suivante :  l’obtention d’un numéro personnel puis l’enrôlement. 

Le bureau est occupé par trois personnes, et mon contact tente de plaider notre cause chez l’une d’entre elles, qui semble être le Chef. Un certain Amadou*. Cet homme, antipathique de prime abord, est pour l’instant au téléphone.

Nous l’entendons proférer plusieurs injures en langue soussou à un interlocuteur à qui il finira par raccrocher au nez. Après s’être légèrement calmé, il nous prend le dossier des mains et le vérifie sans grande motivation. Verdict : il nous faut légaliser quelques pièces au Tribunal, et il nous manque le reçu de la banque prouvant le dépôt du coût du passeport (1 000 000 GNF) sur le compte du Ministère de la Sécurité intérieure. Nous n’avions effectivement pas ces éléments. 

Mais c’est bien parce qu’il n’existe à ce jour aucun site web, aucun portail en ligne où nous pouvons voir la liste des pièces à fournir (qui change fréquemment) ni pour une première demande de passeport ni pour un renouvellement. Il faut se déplacer jusqu’au Ministère pour se voir dire qu’on doit faire demi-tour. 

Ma motivation commence déjà à flancher. Mais ma mère, habituée à ces simagrées, m’encourage à tenir bon. Nous passons par Ecobank donc, pour faire le dépôt d’argent et nous remettons au lendemain la suite de nos démarches, la journée étant déjà bien avancée.

Le matin du jour suivant, un rapide saut à la Mairie de Dixinn puis au Tribunal de première instance nous permet de légaliser les papiers demandés. Nous revoici en chemin pour le Ministère de toutes les souffrances. Cette institution me fait penser au Ministère de la Magie dans Harry Potter, avec ses fonctionnaires inquiétants. Nous remettons le dossier à cet homme qui nous a reçus la première fois, Amadou. 

Cette fois mon “ami” est absent, je dois me débrouiller seule. Après l’avoir brièvement parcouru, Amadou nous accompagne dans l’un des hangars. Dedans, une centaine de chaises couleur violet, disposées en face de tables en bois, occupées par des officiers censés délivrer le fameux numéro personnel. 

Votre temps n’a pas de valeur 

Amadou nous confie à l’un de ses “petits” et nous demande de patienter, le temps que celui-ci s’occupe de nous. Nous attendons donc quinze minutes, puis trente, toujours rien. Je porte mon bébé dans un kangourou, il a chaud, il s’est endormi. J’ai demandé à ma mère de s’asseoir étant donné qu’elle a mal au genou. Je vais vers l’homme en question pour m’enquérir de la situation. Il me répond de but en blanc :” la personne qui signe s’est déplacée pour une petite course, elle revient bientôt”. 

Oui, ici un fonctionnaire peut aller vaquer à ses occupations alors qu’une foule l’attend. C’est à nous de nous adapter à leurs agendas. Je leur demande quand est-ce que ce patron reviendra puisque mon bébé commence à avoir faim, il me répond : “Madame, dans au moins 45 minutes. C’est vous qui voyez si vous voulez rentrer le nourrir puis revenir”. Bref, de quoi halluciner. 

Pour ces gens, le temps est une denrée fictive. Retourner chez moi et revenir me prendrait un temps fou, surtout si j’ai la malchance de tomber sur des embouteillages, ce qui est courant dans la capitale. Mais que faire face à des personnes toutes puissantes, et indispensables pour la procédure. Une administration est censée être à notre service, ici nous courrons, tels les gueux que nous sommes derrière notre dû.

Le jeune homme se lève lui aussi, et se dirige vers une femme. Ils rient aux éclats et semblent se partager des confidences. Je regarde mon fils, ma mère. Au point où j’en suis, autant attendre, me dis-je.

Ici ces petites mains informelles, qui ne sont pas des recrues officielles du Ministère, travaillent clandestinement – mais paradoxalement à la vue de tous -, pour des fonctionnaires qui se considèrent comme des chefs de gangs. Pas étonnant dans une mafia. Ils rabattent les “clients” que nous sommes, pré-remplissent des documents pour nous même quand nous sommes lettrés, récoltent les “jetons” que vous êtes obligés de laisser. 

Pas logés à la même enseigne

Fort heureusement, une autre trentaine de minutes plus tard, notre geôlier revient avec son stylo délivreur. Une foule s’amasse autour de lui. En observant tous ces gens, je réalise que chaque civil est accompagné d’une personne en tenue. Je le disais plus haut, ici, dans ce Ministère, tout le monde a un contact. Chaque fonctionnaire a son petit protégé pour qui il pousse le dossier contre plusieurs francs guinéens. Mais qu’arrive-t-il à ceux qui n’y connaissent personne ? Finissent-ils par avoir un passeport ? Au bout de combien de temps ? 

Je sors de mes pensées et rejoins le groupe, je joue des coudes pour me faire une place. Je veux me faire voir du Monsieur-tout-puissant. Peut-être prendra-t-il pitié de la maman que je suis. J’attends une bonne vingtaine de minutes, le duo octroie plusieurs numéros personnels. 

J’interpelle le Monsieur, en lui disant que mon dossier est dans le tas depuis longtemps. Il m’observe à travers ses grosses lunettes rondes puis regarde mon fils, il s’occupe encore de quelques personnes puis prend le dossier de mon garçon. Je l’entends souffler à son intendant : “c’est un dossier DAJ ça”. Je comprends qu’ils veulent me demander de l’argent parce que mon fils est métisse. Après avoir attribué un numéro personnel à mon dossier, son intendant prend ma chemise de documents et se lève. Il veut m’attirer dans un coin pour effectuer la “transaction”. Comprenant leur manège, je lance un retentissant : “Que se passe-t-il ?”. L’intendant a un moment d’hésitation. Craignant une confrontation publique, il me tend mon dossier un peu à contre-coeur. Je le prends et tourne déjà les talons. Je fonce à nouveau vers la DAJ, avec ma mère. 

Vous remarquerez que ce sont les demandeurs de passeports qui, eux-mêmes, font bouger leurs dossiers d’un département à l’autre. S’il existe un circuit interne, le commun des mortels n’en bénéficie pas. Par ailleurs, la priorité aux personnes porteuses d’un handicap, aux personnes avec enfants n’est pas respectée. C’est la lutte, permanente, la négociation, et la corruption. 

Adieu les principes 

À la DAJ, notre interlocuteur confirme enfin le dépôt de notre dossier. Je pousse un ouf de soulagement, pensant avoir fait le plus gros. Que nenni. Ma mère me propose de lui “laisser quelque chose” pour qu’il s’achète du crédit téléphonique. 

Je suis fondamentalement contre la corruption mais j’obtempère, car les réalités du terrain ont l’effet d’un rouleau compresseur sur nos principes. Peu importe notre fermeté, le quotidien guinéen nous essore, nous malmène et détruit tout désir de donner le bon exemple. D’abord parce que personne ne le donne au sein de la classe dirigeante. Lorsqu’on arrive dans cet endroit, les rapports de force, l’intimidation des hommes en tenue policière, font que nous avons envie d’en finir au plus vite et de fuir.

De plus, je sais de source sûre qu’il y a des retards de salaires pour ces fonctionnaires. Je n’essaie pas de justifier leur comportement mais quand on a faim et que le travail qu’on fait ne fournit pas la dignité censée aller avec, on se transforme inéluctablement en mendiant, et c’est la population qui trinque. À moins d’avoir le courage de quitter ces emplois qui n’en sont que de nom. Quand bien même ces gens seraient payés en temps et en heure, je ne suis pas certaine qu’ils arrêteraient de tendre la main pour un ou deux billets. C’est devenu une seconde nature, un sport national.

Plusieurs échelons de corruption

Un jour entier passe. Le lendemain, ma mère est rappelée par notre contact de la DAJ. Notre dossier a été signé, mon fils a bien droit à un passeport guinéen, nous pouvons avancer. 

Nous arrivons le lendemain toutes guillerettes, pensant qu’il ne s’agirait là que d’une affaire de quelques heures.

Mais notre contact, Amadou, est absent. Au téléphone, il nous enjoint de passer par l’une de ses collègues présentes pour la suite de la procédure. Celle-ci, une femme cette fois, est tout de suite amicale. Elle prend le dossier et nous voici en route pour une étape décisive : l’enrôlement. 

Mon second cauchemar débute là. Mon fils est toujours dans mon porte-bébé, attaché$$. Le soleil commence à brûler. 

Elle engage la conversation : 

– Je vais vous accompagner là-bas mais l’attente est longue. Vous allez vraiment attendre longtemps.

Elle sait où appuyer pour que ça fasse mal, car avec mon bébé, je ne peux pas attendre toute la journée sous ce soleil ardent. 

– Ah bon, dis-je naïvement. C’est aussi lent que ça ? Comment peut-on faire pour accélérer car j’ai un bébé…

– Ah madame, ici c’est l’argent qui commande. Vous allez devoir me donner quelque chose. 

– Combien ? 

– 200 000 francs guinéens. Répond-elle sans ciller. 

C’est beaucoup d’argent, je lui dis que je n’ai pas cela. La négociation débute, elle me répond qu’elle doit partager cet argent avec plusieurs personnes, mais qu’elle se contentera de 150 000 GNF. J’acquiesce la mort dans l’âme. Sans savoir qu’un 50 000 GNF aurait, en fait, suffit. Les prix sont fixés à la tête du demandeur. 

C’est alors qu’elle met en place tout un stratagème pour que je lui remette discrètement l’argent. Cette jeune femme doit avoir à peu près mon âge. Je dois plier en boule la somme et la lui donner comme si je la saluais. Elle ne peut pas se permettre d’être vue récupérant de l’argent d’une civile, encore moins dans la cour du Ministère. Je m’exécute. L’argent est dans ses mains quand nous arrivons devant un parterre de personnes qui attendent dans un miteux hangar, chauffé à blanc par la tôle d’aluminium qui le recouvre. Un grand haut-parleur fixé sur l’un des murs extérieurs du bâtiment égrène laconiquement des prénoms et noms. C’est là qu’il faut attendre des heures pour être appelé et entrer dans ces bureaux pour se faire enrôler. 

J’apprendrai que cette lenteur est délibérément organisée. C’est un système d’attente mis en place pour filtrer les personnes en fonction de ce qu’elles peuvent donner. Si on est pressé, on donne de l’argent et on n’aura peut-être pas à attendre des heures. Je dis bien peut-être car il y a des sous-systèmes dans le système, comme je le découvrirai avec amertume. Il y a plusieurs échelons de corruption et si on oublie de “graisser” un échelon, on n’avance pas.

La jeune femme de mon âge me demande de m’asseoir dans le hangar, me promettant que j’allais être bientôt appelée. Je décline le siège, je préfère rester debout pour que mon fils soit plus confortable. Je lui demande si elle reste avec moi jusqu’à ce qu’on m’appelle. Ce à quoi elle me répond par la négative : madame est censée faire le nécessaire puis retourner dans le confort précaire de son bureau, tout de même climatisé. Elle se dirige vers deux policiers qui semblent avoir droit de regard sur qui entre dans ces locaux. Attablés, ils remplissent manuellement des registres. Quelques mots sont échangés avec la jeune femme. Je la vois disparaître, se faufiler entre les gens en évitant mon regard. 

La longue attente commence. Plusieurs personnes me proposent gentiment de m’asseoir. J’ai les pieds brûlants mais je m’y refuse, comme aussi pour me punir de participer à toute cette farce de refondation, de changement que l’on refourgue aux Guinéens, régime après régime. Je regarde ma montre. Quarante-cinq minutes se sont écoulées. Mon fils a soif, je lui donne de l’eau. Je peste contre tout le Ministère, c’est littéralement l’enfer. Des dizaines de noms sont appelés sans que celui de mon fils ne soit prononcé par le haut-parleur. Je m’impatiente. Mon téléphone n’a presque plus de batterie. Mon dos est toujours douloureux suite à mon accouchement puis mon fils pèse un peu moins de 10 kilos. Je sue de partout, et de grosses gouttes perlent sur le front de mon fils. Nous voyant dans cet état, l’un des jeunes à la porte m’appelle. Il me montre le dossier de mon fils.

– C’est votre dossier ça ? me demande-t-il.

Je lui réponds par l’affirmative, constatant amèrement qu’il n’a pas été remis aux agents de l’enrôlement. Cette première heure d’attente n’a donc servi à rien, je ne risquais pas d’être appelée puisque mon dossier est dehors.

– Madame, reprend-il, il faut donner quelque chose pour qu’on le fasse entrer. 

– Comment ça ? J’ai donné de l’argent à la dame avec laquelle je suis venue. Elle m’a dit qu’elle allait partager avec vous.

Le jeune homme marque une pause, il regarde son collègue qui lui sourit. L’autre lui dit en soussou : “c’est ce qu’ils font toujours”.

Puis il se tourne vers moi : 

– Madame, la lieutenante avec laquelle vous êtes venue ne nous a rien donné. 

Je hoche la tête. Je lui réponds que je vais aller la voir tout de suite dans son bureau. Il me demande de retourner dans le hangar.

La colère monte. J’attrape mon téléphone pour appeler ma mère qui est restée assise dans l’un des bureaux de la DAJ à cause de son genou. Je lui demande d’interpeller la fille pour lui expliquer que je n’ai toujours pas été appelée. J’informe ma mère que j’ai donné de l’argent à cette femme mais qu’on m’explique ici qu’elle n’en a donné à personne. Ma mère appelle discrètement la jeune femme et lui explique la situation. Celle-ci feint la colère. Elle prend le téléphone de la main de ma mère et se met à m’engueuler : 

– Vous avez parlé à des gens labas ? Que faites-vous ? Vous voulez m’exposer ? 

Je lui réponds avec le peu de calme qu’il me reste que je ne suis allée vers personne. Que ses collègues m’ont appelée pour se plaindre. Je lui demande ce qu’elle a fait de l’argent. Elle me répond qu’elle leur a donné “leur part”. Je lui propose dans ce cas, de passer mon téléphone à ses amis afin qu’ils échangent car il y a de toute évidence deux versions des faits. Elle refuse et me raccroche au nez. Je prends la décision de filmer et de prendre en photo la suite des évènements. Des éléments que j’ai toujours à ma disposition. 

Désordre et intimidations

De ce que m’expliquera ma mère, dans le bureau, cette jeune femme prénommée Hélène* et ses collègues vont la prendre à partie. Ma mère est sortie du bureau, elle s’est mise à l’écart pour attendre le retour d’Amadou, qui s’était éclipsé. Dès qu’elle l’aperçoit, elle le suit dans son bureau et lui expose la situation. Une dispute s’en suit. Amadou réprimande Hélène en public puis les deux me rejoignent à l’enrôlement. Amadou comprend qu’il doit prendre les choses en main. La dispute aura au moins réussi à faire bouger les choses. 

À l’entrée, Hélène engueule les jeunes qui l’ont dénoncée pendant qu’Amadou va voir où en est mon dossier à l’intérieur puisqu’entre-temps, après une heure et demi dehors, celui-ci a été rentré. C’est une autre paire de manches qui commence, puisque lorsque Amadou en ressort, il m’annonce une mauvaise nouvelle, mon dossier est subitement redevenu incomplet. Il manquerait selon lui, la preuve de dépôt d’argent à Ecobank. Dossier qu’il a lui-même préparé.

Il me demande si j’avais apporté ce reçu, je ne sais pas où je trouve la force de lui répondre calmement par l’affirmative. Nous retournons dans son bureau où il se met à chercher le bordereau, qu’il ne trouve pas. Ses collègues avec lesquelles ma mère s’était disputée plus tôt dans la journée, gloussent, cachant à peine leur plaisir de nous voir vivre cette nouvelle mésaventure, comme une punition que nous méritons pour avoir haussé le ton. C’est un tunnel sans issue. Il cherche une bonne dizaine de minutes tout en commençant déjà à se dédouaner :

– Personne ne vole ces bordereaux ici. Si vous l’aviez apporté, il serait forcément là.

Mais il y a un tel bric-à-brac de documents, photos, passeports, vieux calendriers sur son bureau que je ne suis pas étonnée. On ne peut rien trouver ici. La médiocrité à l’état pur. 

Ma mère doit courir à la banque chercher un duplicata; si celle-ci veut bien nous en fournir un car tout prend des proportions pharaoniques dans ce pays puisque personne ne veut travailler correctement ni respecter les normes. Je détache mon fils et attend dans le bureau que ma mère revienne. Désespérée de la tournure que prennent les choses, j’appelle mon premier contact, celui qui nous avait initialement mis en relation avec Amadou, il dit être occupé.

Une trentaine de minutes plus tard, le bordereau est retrouvé de manière inespérée. Ma mère à qui l’on refusait le duplicata de la banque comme je l’avais anticipé, est elle aussi soulagée. Elle reprend donc la voiture pour venir nous retrouver au Ministère de tous les malheurs. Amadou complète notre dossier avec ledit document et me demande de le suivre dans les locaux de l’enrôlement. 

Nous arrivons et j’attends à nouveau dehors. Vingt minutes plus tard, mon fils est enfin appelé. Nous entrons dans ce bureau organisé comme un marché, quelques ordinateurs ça et là, des machines à empreintes digitales et des appareils photo. Là nous rencontrons Mme Sylla*, une dame qui nous réconcilie un peu avec cette administration. Elle se prend d’affection pour mon fils qu’elle trouve adorable. Elle appelle ses collègues qui toutes se pâment devant mon bébé, dont les joues et bras potelés font un tabac. Les formalités sont rapidement faites. Constatant son efficacité, je récupère ses coordonnées.  

Nous laissons s’écouler quelques jours, nous appelons tour à tour Amadou et Mme Sylla de l’enrôlement. Cette dernière me dit que le passeport a dû être récupéré par la DAJ car elle ne voit plus le dossier en traitement dans son système. Nous appelons Amadou, il décroche, hautain comme à son habitude et sans doute dans un mauvais jour. Je lui explique les propos rapportés par Mme Sylla. Il me répond qu’il ne récupère aucun passeport. J’angoisse donc légitimement à l’idée que le passeport aie été égaré.

J’arrête tout ce que je fais et me rend immédiatement au Ministère. Lorsque j’entre dans le bureau de Amadou et ses drôles de dames, l’accueil est glacial car on se rappelle du scandale de ma mère. Personne ne veut lever le doigt pour trouver le passeport de mon fils. Amadou me fait comprendre qu’il goûte peu au fait que j’ai un autre contact que lui pour suivre mon dossier, à savoir Mme Sylla.  Il ne veut pas partager les “jetons”, c’est à peine subtil. Dès que j’entre dans son bureau, il me lance méchamment : 

– Vous être trop pressée, l’administration peut faire un mois pour produire ce passeport. D’ailleurs cette urgence m’interpelle me dit-il, comme s’il s’adressait à une trafiquante de drogue.

Fort heureusement, une policière présente dans le bureau se propose de chercher le passeport de mon fils dans un nouveau lot reçu.

– Allez-y cherchez, répond Amadou avec désinvolture. Mais je ne crois pas que le passeport de votre enfant soit ici. 

Comme s’il le souhaitait.

La policière scinde le tas de passeports neufs en deux et me donne une partie. Nous fouillons toutes les deux pour aller plus vite. Me voici devenue moi-même fonctionnaire de l’État. La policière le trouve, le passeport de mon fils était bien dans l’une des armoires de la DAJ. Je suis soulagée, tout cela n’aura pas été vain. 

Laconiquement, Amadou me fait signer une décharge en échange du passeport et me demande d’acter son retrait au bureau des retraits de passeports dans la cour. Je pars sans demander mon reste. En échange d’un autre billet de 10 000 GNF qui m’a été demandé discrètement, le passeport de mon fils est retiré “électroniquement”. 

En sortant de cet horrible ministère, je n’ose pas trop croire que c’est terminé; au moins pour cinq ans.

*Tous les prénoms ont été changés

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