A la tête d’Orange Mali, Brelotte Ba, 43 ans, est l’une des personnalités les plus influentes du secteur des télécommunications en Afrique de l’Ouest, une région qu’il connaît bien. Avant d’officier à Bamako, il a occupé les fonctions de Directeur général des filiales d’Orange en Guinée-Bissau, puis au Niger et en Guinée. Je l’ai rencontré à Paris pour parler de son parcours et de l’entreprise. 

1-Vous êtes diplômé de Polytechnique et des Ponts et Chaussées de Paris, comment en êtes vous arrivé aux Télécoms ?

Après le bac, j’ai intégré le lycée Jacques Decour au Nord de Paris dans l’idée de faire les classes préparatoires. Il faut dire que j’ai été comme d’autres de ma génération, inspiré par des aînés qui sont passés par Polytechnique.

Au début, je me voyais plutôt travailler dans l’industrie, la finance, l’innovation ou le déploiement de projets industriels. Après Polytechnique, je me suis donc inscrit au collège de management industriel de l’Ecole des Ponts et Chaussées. Après un stage de fin d’études, dans les déploiements de système d’information, j’ai réussi à obtenir un poste de chef de projet déploiement SI dans le secteur des télécoms. Grâce à la confiance que des mentors ont placé en moi, notamment les dirigeants de SONATEL (filiale d’Orange), j’ai pu lentement faire mes preuves. Les télécoms sont une industrie passionnante.

 2-Pourquoi avoir décidé de rentrer en Afrique après vos études ?

Pour moi, rentrer en Afrique était une évidence. Comme beaucoup, je voulais d’abord avoir une première expérience en France avant de retourner en Afrique. Je me disais que si je pouvais trouver une entreprise qui répondait aux exigences internationales tout en appartenant à un grand groupe international, je pourrais à la fois servir les populations sur place et évoluer dans un environnement moderne. Orange m’a offert ce cadre.

3-Suite à l’affaire judiciaire qui oppose Orange et d’anciens partenaires commerciaux réclamant 600 millions de FCFA, un délai de 4 mois a été donné à Orange Mali avant la saisie des comptes de l’entreprise en décembre 2019. Où en est cette affaire ?

Nous avons fait appel de cette décision et on a été rétabli dans nos droits, c’est donc une affaire close. Lorsqu’on est opérateur de Télécommunications, ce genre de choses arrivent assez couramment malheureusement. On gère des centaines de contrats avec les distributeurs et les partenaires, des contentieux sont inévitables.

4-Orange produit 1,5 million de tonnes de CO2 chaque an et la question de l’environnement semble centrale pour le Directeur général, Stéphane Richard, qui vient d’annoncer un investissement de quelque 100 millions d’euros dans les énergies renouvelables. Quelle place occupe l’Afrique dans cette stratégie ?

Oui, Stéphane Richard a lancé en Décembre 2019 le nouveau plan stratégique d’Orange “Engage 25” avec deux engagement très forts : l’inclusion numérique et l’environnement. L’objectif, c’est que d’ici 2025, 50% de l’énergie que nous utilisons provienne des énergies renouvelables.

Et en Afrique ?

En Afrique, on a la chance de pouvoir déployer des projets innovants qui répondent à la fois au besoin d’inclusion numérique et à celui de l’écologie. 

Je pense notamment à Orange Digital center qui sera lancé au Mali dans le courant de cette année. Ces Digitals centers réunissent à un seul endroit une école de codage gratuite, des structures d’accélération de startups et des Fab Lab solidaires qui permettent aux jeunes de démarrer plusieurs activités. 

Le Groupe Orange dispose aussi en Afrique de Orange Digital Venture, un fond d’investissement de 50 millions d’euros qui investit dans les startups africaines. Pour ce qui est de l’inclusion numérique, Orange est donc déjà bien engagé.

Au Mali, plus du tiers de nos sites fonctionne déjà à l’énergie solaire.

Quand aux énergies vertes, nos sites (points antenne) sont de plus en plus alimentés à l’énergie solaire, profitant du potentiel dont dispose l’Afrique en la matière. Au Mali, plus du tiers de nos sites fonctionne déjà à l’énergie solaire. Nous réduisons de cette façon notre émission de CO2. Nous travaillons aussi avec l’opérateur d’électricité du Mali (EDM) dans un projet qui permettra à terme d’assurer notre consommation d’électricité grâce à une centrale solaire.

Il n’y a que l’énergie solaire qui vous intéresse ? 

En raison de la configuration de nos sites, c’est le solaire qui est le plus adapté. Mais, par le biais des projets conduits par les opérateurs d’électricité et les Etats (barrages hydroélectriques par exemple), nous utilisons d’autres énergies renouvelables dont la production est directement injectée dans le réseau.

5- Le Nord du Mali est sujet à instabilité, avec la présence de groupuscules djihadistes. Quelle responsabilité ont des entreprises comme Orange face à cette situation ?

La première responsabilité qui nous incombe est d’assurer le service aux populations de ces zones qui vivent parfois dans des conditions très difficiles. Il faut donc leur assurer la présence d’infrastructures et services de communication, avec la maintenance et l’évolution de ces systèmes. Cela permet aux habitants de ces zones de communiquer en toute circonstance.

On a régulièrement des sites qui sont attaqués, vandalisés

Je pense que l’environnement est plus sûr avec les télécoms que sans. Malgré les difficultés rencontrées, nous maintenons notre politique d’investissement dans ces zones là. Nous initions plusieurs activités de mécénat aussi. La présence d’Orange Money a également permis la circulation sécurisée d’argent entre les habitants.

Orange Mali est-il directement impacté par ces problèmes ?

Oui, naturellement. On a régulièrement des sites qui sont attaqués, vandalisés. On considère néanmoins que cela fait partie de notre mission de ne pas exclure ces zones.

6- A quels blocages avez-vous fait face lorsque vous étiez Directeur général d’Orange Guinée ? 

Chaque pays présente ses opportunités et challenges. L’une de nos priorités en Guinée était de disposer de plus de ressources pour assurer le développement des réseaux. La croissance est forte en Guinée, il fallait donc trouver les fréquences pour la soutenir.

Et en terme de compétences ?

Il n’y avait pas de problèmes majeurs de manque de ressource humaine. Et je veux souligner qu’en Guinée, la parité est atteinte au plus haut niveau de management (comité de direction – plus de la moitié constituée de femmes). Les enjeux restent néanmoins comme dans beaucoup de pays d’Afrique subsaharienne la formation, qui permettra à toutes les entreprises (pas seulement les plus grandes) de disposer de ressources humaines de qualité.


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7-La situation est-elle la même au Mali ? Vous privilégiez la parité ? 

Oui nous visons partout une plus grande représentativité des femmes. Mais il faut noter qu’ il y a très peu de femmes dans les filières scientifiques, et donc dans les filières techniques chez les opérateurs de télécommunication (réseaux, système d’information). C’est une règle assez générale dans nos pays.

Pour certains métiers, nous avons constaté qu’il n’y a que 25% de femmes dans les effectifs. Dans ces conditions, il est difficile d’atteindre la parité. 

Pour inverser la donne, il faut miser sur la formation. Je sais qu’au Sénégal par exemple, il y a plusieurs initiatives qui encouragent les filles à embrasser les filières scientifiques. C’est un combat qu’il faut mener et généraliser…

8- Quelle est précisément la politique du groupe en matière de recrutement de talents locaux ? 

Au Mali, sur les dernières années nous avons recruté 40 à 45 personnes en moyenne chaque année. En ce qui concerne les stagiaires, on privilégie ceux disposant d’une convention de stage, afin que cela soit encadré. La priorité est donnée aux étudiants devant valider un diplôme. Néanmoins, nous lançons périodiquement des appels d’offres auxquels tout le monde peut postuler. Nous nous intéressons aussi aux talents issus de la diaspora. 

Orange est reconnu en Afrique comme étant l’un des meilleurs employeurs, en terme de possibilité de carrière, de rémunération, de formation, etc.

Et dans le top management ? 

Même dans le top management. L’actuel Directeur Afrique est un Africain (ndlr : Alioune Ndiaye) et le siège d’Orange Middle East and Afrique est basé à Casablanca. On a une majorité écrasante d’Africains à des postes de responsabilité sur le continent, notamment les Directeurs Généraux.

9 – La 5G fait actuellement beaucoup de débats en Europe. Est-ce qu’elle est utile en Afrique pour l’instant ? Quand devrait-on l’attendre sur le continent ?

Aujourd’hui, les réseaux 4G permettent de répondre aux besoins africains de connectivité et de débit. Le lancement de la 5G est plébiscitée pour des applications assez pointues comme des opérations médicales à distance, des voitures autonomes et électriques, etc. Des activités qui nécessitent une faible latence, c’est-à-dire un temps de réponse court. 

Elle arrivera en Afrique sans aucun doute mais comme cela a été le cas pour la 3G et 4G, ce sera probablement trois à quatre ans environ après son déploiement en Europe et aux USA. Ce déploiement sera progressif car on parle de 54 pays africains et plus de 200 opérateurs sur le continent africain.

10- Avez-vous des conseils à donner aux jeunes qui admirent votre parcours et veulent réussir le leur ?

Je commencerai par leur dire que la formation est capitale et irremplaçable. Il faut oser franchir le pas des disciplines scientifiques car le continent en a grandement besoin. Il faut penser à la demande actuelle dans nos pays :  infrastructures, routes, ponts, etc. Nous avons besoin de plus de diplômés dans ces filières pour impulser un changement. Je rajouterais qu’il faut avoir l’envie de servir le continent, et une ambition ferme et forte pour l’Afrique : les challenges y sont nombreux (infrastructure, énergie, économie), et les opportunités aussi (croissance, démographie, ressources). 

Enfin, il me semble important de garder en tête que l’entrepreneuriat peut aussi être une belle porte d’entrée vers la réussite. 

Propos recueillis à Paris par Dieretou Diallo.

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