Beaucoup de jeunes ont une vision romancée de leur retour au pays. Inconsciemment après être longtemps resté en occident, on s’attend à être imbriqué dans un système professionnel à peu près similaire à celui qu’on a connu à l’étranger. Cela se fait de manière tout à fait non calculée, on sait qu’à notre retour beaucoup de choses seront différentes. On a une vague idée du fait que les mentalités ne sont pas les mêmes mais il y a un paramètre majeur qu’on omet : le facteur soi, et le fait qu’on aie nous même changé.

Lorsqu’on revient, la première chose qu’on se surprend à découvrir c’est qu’on n’est plus le même et qu’on n’est plus du tout à même d’accepter certaines choses.  Travailler  en Guinée est très difficile, et je loue les personnes qui y parviennent lorsqu’elles ont connu autre chose. Je m’y suis essayée à plusieurs reprises avec de courtes expériences ici et là au cours de mes études avant d’en venir au constat que je n’y arriverai pas de manière permanente à la fin de celles-ci, l’année prochaine. Pas maintenant en tout cas. Peut-être dans un futur (pas si proche que ça) ?

Me concernant c’est on ne peut plus révélateur, parce que j’ai toujours été de ceux animés par l’idée très répandue qui veut qu’on aille se former ailleurs pour revenir réinjecter nos compétences dans un pays où tout reste encore à faire.

Mais bien trop souvent, on oublie que les blocages qu’on rencontre sont plus humains que techniques. Plus comportementaux qu’un problème de confort ou encore de salaire. Plusieurs jeunes gens ont accepté de tout quitter pour revenir travailler en Afrique : meilleurs salaires, meilleures conditions de vie et de travail, et à terme épuisés ont fini par abandonner pour rentrer à l’étranger, un étranger qui leur est devenu plus familier que leur propre pays.

 Lorsqu’on arrive, boosté à bloc, motivé, novateur et plein d’idées, on est tout de suite embarqué dans un désagréable rapport de force d’abord avec les patrons africains – des patriarches qu’il ne faut pas contredire (je caricature) – puis avec des collaborateurs très souvent diasporaphobes. Ne parlons pas des commerçants, vos propres compatriotes qui veulent vous arnaquer à votre accent.

Loin d’être stimulant de la bonne manière, on se retrouve parfois dans des situations malsaines qui flirtent avec l’ethnocentrisme selon votre nom de famille ou des pratiques occultes. Il arrive que l’on vous veuille du mal seulement parce que vous voulez positivement faire bouger les lignes dans des structures où travailler n’a plus la même connotation que pour le reste du monde. Ce n’est plus fournir de l’effort pour un but précis, mais seulement être présent de 9h à 16h et faire mine de. L’environnement est plutôt hostile dans la majeure partie des cas même si je n’irai pas jusqu’à généraliser et l’étendre à tout le pays. Il y a sans aucun doute si l’on cherche bien, des exceptions qui confirment la règle.

La structure hiérarchique professionnelle guinéenne est restée très pyramidale avec un chef au sommet et le reste qui ne sont que des exécutants, très souvent dévalorisés. On est alors en présence d’un conflit idéologique et organisationnel avec les nouvelles générations qui elles, ont plus été éduquées dans un esprit d’entreprise start-up et participatif. Elles ont du mal à exécuter sans poser de questions, sans proposer de nouvelles alternatives, et lorsqu’elles sont lésées, elles n’hésitent pas à le faire savoir par les moyens prévus à cet effet, quand bien même ceux-ci se perdent en procédures infinies et n’ont au final pas d’ impact.  Certains patrons y voient de la résistance qu’il faut mater, assouplir, faire fondre dans le paysage d’où le mal-être accumulé au fil des mois.

J’étais tentée de croire avant, que cela se vivait plus dans les structures publiques que privées, plus dans les organismes nationaux qu’internationaux.

Hélas non, même si c’est plus atténué et plus camouflé chez les seconds, tout ça est bel et bien réel et côtoie quotidiennement un semblant d’ordre.

Il faut lutter pour TOUT, pour avoir une mission effectuée à temps par son équipe, pour être livré à date, et j’en passe. Rien n’est fait de manière naturelle et comme il se doit. Combien de fois j’ai été choquée de constater au cours de ces brèves expériences, que des personnes payées pour ce qu’elles devaient faire, estimaient qu’accomplir une tâche en temps et en heure étaient un privilège et non un devoir, que des prestataires prenaient leurs aises avec des délais, etc. Ce sont des choses et un laxisme auxquels je ne pourrai personnellement jamais m’habituer. Je ne sais pas y faire avec « l’administration à la guinéenne » parce que je suis quelqu’un de très exigeant –un défaut sous nos cieux- , c’est peut-être pour cela qu’on me traite de « foté » (blanche en dialecte sousou) lorsque j’arrive et que j’essaie de régenter les choses. Combien de fois ai-je entendu, ton ironique : « Que tu le veuilles ou non, tu iras au rythme des gens d’ici, c’est à toi de t’adapter à la Guinée ».  C’est dire à quel point, on nage en plein délire.

Pendant que les sociétés sont de plus en plus capitalistes, que le temps est de plus en plus cher, qu’on exige des employés plus de productivité, que des milliers de personnes sont au chômage et qu’elles tueraient pour vous remplacer, que les NTIC ont pris le pouvoir, la Guinée et les Guinéens veulent que ce soit le monde qui s’adapte à leur rythme. J’ai vraiment eu tout le mal du monde à l’intégrer et pourtant il a bien fallu. Cela prendra le temps qu’il faudra, mais vous vous adapterez ou vous vous en irez. Le système lui ne changera pas à votre grand dam.

Et c’est à ce stade précis, lorsqu’on est abattu d’avoir lutté pour faire avancer les choses et qu’on peut toucher du doigt notre échec qu’on envisage de plier bagage et de faire demi-tour. Pour ma part, j’ai eu « l’opportunité » de m’en rendre compte avant d’abandonner un poste à l’étranger pour rentrer, la tête pleine de rêves comme cela est courant.

Mais combien de jeunes repats ont ressenti cet abattement, cet état de découragement extrême? Que peut-on donner à un pays qui vous rend tout ce que vous lui offrez ? Que peut-on pour des gens et des structures qui ne veulent pas changer pour l’instant ? Quand les choses ne sont pas arrivées à maturité pour générer un déclic ? Rien j’ai envie de dire.

Loin de moi cependant l’idée de tomber dans le cliché de la diaspora qui vient « sauver » la Guinée.

Dans ces conditions, n’est-ce pas plus sage de revenir dans un pays où l’on a au moins la sécurité sociale, où le salaire minimum n’est pas une utopie, où nos droits sont respectés en tant que travailleurs et que l’on peut attaquer une structure en justice, aller chez les prud’hommes, en un mot où des possibilités de riposte s’offrent à nous ? Cela peut paraître défaitiste, égoïste mais lorsqu’on a de tout son cœur essayé « de revenir » et que notre pays et ses gens nous « rejettent » , c’est la seule voie qui se dessine malheureusement.

Certes la tendance est au retour depuis un certain temps mais c’est étrange, plusieurs guinéens – et pour être tout à fait franche c’est aussi mon cas – se voient travailler dans des villes comme Abidjan, Dakar, mais pas Conakry ou pas dans l’immédiat.

Pourquoi  au juste? L’Etat guinéen devrait sérieusement  envisager cette question. On sait qu’on y vivra les mêmes difficultés sinon pire (car on n’est pas chez nous) mais on préfère les vivre ailleurs. Car qu’on le veuille ou non de l’extérieur, ces pays renvoient une vision plus moderne et un certain sérieux quand vient l’heure du travail. Vous l’aurez remarqué, je suis dans le champ lexical du verbe paraître, donner l’illusion.  Cela signifie qu’on peut se tromper une fois confronté à la dure loi de la réalité mais au moins l’image est là. Une  image qui attire des milliers de jeunes, origines diverses, dans ces grandes villes devenues cosmopolites, en pleine ébullition intellectuelle et technique.

Pourquoi est-ce plus difficile pour Conakry ? Qu’est-ce que le gouvernement fait de travers ou ne fait pas du tout pour réussir les retours ?

On pourrait bien entendu dresser une intarissable liste de réponses.

Des hôtels de haut standing poussent ici et là, des cinémas sont inaugurés, etc. à la bonne heure… Tout cet attirail donne vraiment envie de venir en vacances mais Q.U.A.N.D les choses bougeront-elles pour donner envie de venir travailler mais surtout de rester? Telle est la question à un million de dollars (ou de francs guinéens).


Cet article a suscité beaucoup d’intérêt, une suite a été rédigée à cet endroit.

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