En 2018, j’écrivais l’article « pourquoi je ne viendrai pas travailler en Guinée, autopsie d’un retour mitigé » (partie 1 et partie 2). Une réflexion personnelle qui m’a valu sur le coup des critiques parfois acerbes mais aussi les remerciements chaleureux de nombreuses personnes qui se retrouvaient dans mes propos. Deux ans plus tard, j’ai lancé “les Talks de Dieretou”, une série de rencontres-débats dont l’objectif est double. D’abord rencontrer mes plus fidèles lecteurs pour poursuivre et enrichir les discussions en ligne que j’engage déjà avec eux, mais aussi fournir à la diaspora africaine un espace physique d’échange et de débat – ce qui, hélas, se fait plutôt rare en 2020.
L’idée est d’avoir un endroit où se rassemblent plusieurs représentants de la diaspora issus de milieux sociaux et professionnels divers afin de discuter de thèmes précis – un seul par événement. Le 1er février dernier, j’étais donc heureuse d’accueillir une trentaine de personnes à La Maison Muller (Paris, 18e) à l’occasion du lancement de ce projet intitulé #DDisTalking, dont le premier épisode était consacré au retour de la diaspora.
Depuis quelques années, en effet, on constate une certaine propension des Africains vivant hors de leur pays d’origine (ou de celui dont leurs parents sont originaires) à vouloir se rendre dans celui-ci pour y tenter une aventure professionnelle et pourquoi pas, y vivre définitivement. De plus en plus documenté, le phénomène est appelé repatriation et ceux qui s’y emploient, bien qu’animés de motivations très différentes comme nous allons le voir, sont appelés les repatriés ou encore “repats”.
Dans mes billets de 2018, je racontais les difficultés et blocages que je rencontrais dans la vie quotidienne, tant sur les plans professionnel que social, lors de mes séjours à Conakry, en Guinée, pays où je suis née avant de venir étudier en France à l’âge de 18 ans. La question du retour de la diaspora est complexe et vaste et ne peut en aucun cas se limiter à l’évocation d’un cas individuel. Mon ambition était d’en discuter avec tous ceux qui me lisent souvent et qui se sentent concernés d’une façon ou d’une autre.
Dépasser la simple évocation des problèmes
Assis sur des chaises et sur des tapis à même le sol, adossés à des coussins dans une ambiance conviviale, nous avons découpé l’après-midi en trois phases :
- une projection des documentaires Going Home, du cinéaste guinéen Mohamed Dione, suivi de réactions et d’échanges
- une pause café-networking
- une séquence de discussions sur les tips et solutions à envisager face aux problèmes et aux freins au retour évoqués précédemment
L’un de mes principaux objectifs était d’éviter de tomber dans la critique stérile, en favorisant l’émergence de propositions concrètes face aux difficultés identifiées.
J’ai également suggéré que nos idées et propositions soient transmises au gouvernement guinéen, via une lettre ouverte ou un plaidoyer.
Sentiments partagés
Dans le documentaire, les interviews de Fatoumata Binta Teliwel Diallo et de Binta Diallo, de jeunes guinéennes repats, ont constitué un excellent moyen d’amorcer le débat dans l’assemblée.
L’appréhension visible du contexte politique exprimée par Binta Teliwel, qui a déclaré “ne pas vouloir s’en mêler”, a été l’une des choses qui nous a le plus interpellés. Naturellement, dans l’effervescence des échanges, j’ai tenu à préciser qu’il s’agissait d’un débat d’idées et non de savoir si tel ou tel individu avait ou non la légitimité pour les exprimer.
Ainsi, pour certains cotalkeurs, on ne peut décemment faire abstraction de la politique. C’était notamment l’opinion du doyen guinéen Sorel Keita, actif dans plusieurs associations humanitaires en île de France et qui nous avait fait l’honneur de sa présence : “La politique affecte le quotidien de tous, ne pas s’en mêler c’est la laisser nous faire d’une façon ou d’une autre”.
De nombreux cotalkeurs ont ensuite souligné l’hypocrisie consistant à faire du retour une injonction alors même que celui-ci est plus facile pour certains que d’autres. “Certains peuvent se permettre de rentrer sans travailler tout de suite”, a commencé la Malienne Aiseta Baradji. “On est plus prompt au retour lorsqu’on n’a aucune pression et aucune charge. Revenir et trouver une maison qui nous attend, un chauffeur, pas de factures est plus motivant que si on doit tout de suite prendre tout ce qu’on trouve pour subvenir aux besoins d’une famille qui manque de tout sur place. Avoir le temps de chercher du travail est un luxe que tout le monde ne peut pas s’offrir”, a-t-elle affirmé. Un raisonnement qui a soulevé une vague d’approbation dans la salle.
Méfiance envers la diaspora, perception de la binationalité
La binationalité s’est également invitée avec force dans le débat sous différents angles.
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Notamment avec le témoignage de Binta Diallo, l’ex-mannequin guinéenne qui, elle, est née en France.
Il y avait dans la salle ce jour, plusieurs binationaux qui avaient tenté le retour dans leurs pays respectifs et s’y étaient heurté pour diverses raisons : frustrations, impréparation, sentiment de rejet sur place, inadaptation aux réalités locales, etc.
Lorsque l’aventure commençait à être une source de stress considérable, remplaçant le bien-être escompté à l’arrivée, ils avaient à nouveau plier bagage pour revenir dans le pays de départ.
Pourquoi un retour peut simplement échouer malgré toute notre bonne volonté ? nous sommes-nous alors demandés. Et si pour de nombreux binationaux, en particulier ceux nés en dehors du pays de leurs parents, le retour signifiait aussi : “rentrer en France” ?
De fait, nous oublions souvent que le sol natal de nombreux binationaux se situe en dehors du continent, et constitue un pays auquel ils peuvent être autant attachés sinon plus qu’à celui dont sont originaires leurs parents.
Si des Africains venus dans le cadre de leurs études ont développé un fort sentiment d’appartenance à leur pays d’accueil, ce sentiment est encore plus naturel pour des afro-descendants nés en France.
Est-ce la raison pour laquelle il existe une méfiance des citoyens locaux à l’encontre de la diaspora ? Dans certains pays, cette méfiance est institutionnalisée et il est impossible d’avoir la double nationalité : adopter celle du pays d’accueil, c’est renoncer à la première. C’est par exemple le cas du Cameroun. Fin 2019, une polémique a agité le Mali au sujet de la possibilité pour les binationaux de travailler à des postes sensibles dans l’Administration publique. Pour certains pouvoirs politiques, la diaspora est vue comme un nid d’opposants, donc considérée avec suspicion. Quand au projet de l’Union africaine, en 2006, de faire de la diaspora la sixième région du continent, qui était porté par Thabo Mbeki et Abdoulaye Wade, il fut avorté lorsque le premier perdit le pouvoir. Et depuis, la diaspora a encore du mal à peser, autrement que financièrement, dans les choix collectifs dessinant l’avenir du continent.
Diaspora ininfluençable ? Vraiment ?
Entre la suspicion de la population envers sa diaspora et l’assurance de cette dernière qui peut facilement passer pour de l’arrogance, la fracture reste ouverte. “Nous diasporas, en cas de conflit d’intérêts entre nos pays d’origine et ceux de nos pays d’accueil adoptifs, sommes-nous totalement ininfluençables ?” ai-je alors demandé à l’assistance, un brin provocatrice.
Rappelons au passage que l’une des motivations inavouées de pays comme la France, le royaume-Uni et les États-Unis, dans la mise en place de visas étudiants et d’échanges universitaires, est d’établir une base de soft power : former les futures élites du continent pour avoir une certaine ascendance sur elles grâce au lien social et affectif. Quoi qu’il en soit, de vives protestations ont accueilli ma question. Le Guinéen Almamy Kaloko a, par exemple, répondu sans ambiguïté que la Guinée serait toujours sa priorité.
L’élément déclencheur du retour
Au chapitre des conseils à donner à ceux qui seraient tentés par une repatriation, l’un d’eux a suscité un large consensus : celui de bien déterminer les raisons qui nous poussent à prendre une telle décision. Proximité avec la famille, opportunités de business, besoin de se ressourcer ? Une fois que l’on a bien fait la part des choses et distingué ses priorités, on s’intègre plus facilement et on résiste mieux aux aléas du quotidien.
Instant networking
Nous nous sommes ensuite arrêtés le temps d’une collation, histoire d’échanger nos contacts et de nous présenter un peu mieux les uns aux autres. Un intermède au terme duquel nous avons perdu quelques participants appelés par d’autres engagements. Un élément que je prendrai en compte pour les prochaines éditions. Une question dans le formulaire d’inscription permettra de savoir si le postulant compte rester jusqu’au terme de l’événement, et sa candidature sera favorisée en cas de réponse positive pour que la communauté des cotalkeurs reste homogène du début à la fin.
Une troisième phase animée : l’idée d’une plateforme en ligne
Pendant les deux dernières heures, la quinzaine de cotalkeurs et moi-même nous sommes interrogés sur ce qui pourrait faciliter la réussite du retour, une fois que celui-ci est mûrement réfléchi et décidé.
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Outre les problèmes majeurs de sécurité, d’éducation, de système de santé, l’accès à des moyens de transport efficaces (Saliou Daka, un cotalkeur guinéen de retour à Conakry et travaillant pour le gouvernement guinéen nous avait expliqué que les embouteillages lui prenaient quotidiennement quatre heures pour aller et venir de son bureau), l’idée d’une plateforme d’information mettant en relation la diaspora sur le départ, celle qui est effectivement rentrée, les citoyens locaux souhaitant de l’aide pour leurs projets et l’administration a été grandement plébiscitée. Le manque d’espaces de discussion entre ces acteurs est évident et certains participants ont sollicité que “les talks de Dieretou” deviennent un espace de dialogue pérenne.
La plateforme en ligne évoquée plus tôt serait le lieu pour se tenir au courant d’opportunités (comme des bourses d’études qui manquent cruellement de visibilité), des conseils sur le retour, des témoignages, des clés pour des projets d’entreprenariat, etc. Le flux informationnel irait dans les deux sens, celui des locaux vers la diaspora et réciproquement. Certains sites proposent déjà ce type de contenu mais de façon parcellaire et sectorielle, il s’agirait donc de tout centraliser pour faciliter les synergies.
Ce débrief est ainsi l’occasion de lancer un appel à candidatures pour tous ceux qui souhaitent collaborer à un tel projet. Je me propose de les mettre en relation avec les cotalkeurs présents. N’hésitez pas à envoyer un email à contact@dieretoudiallo.com.
D’ailleurs, à l’issue de notre rencontre du 1er février, Macky Dieng, Guinéen, n’a pas attendu pour créer un groupe Whatsapp intitulé “Diaspora Consciente” dont l’objectif est de s’outiller sur l’entreprenariat et les niches d’investissement en Afrique de l’Ouest. La Bissau-Guinéenne Daina Gomes, a quand à elle révélé qu’elle et d’autres de ses compatriotes planchaient déjà sur une plateforme similaire pour leur pays. Elle cherche d’ailleurs un webmaster qui les accompagnerait bénévolement dans cet ambitieux projet.
À terme, j’ai bon espoir que ces noyaux de discussion et de travail aborderont de nouvelles thématiques. Et que ceux-ci, sortes de mini thinks tanks propulsés et accompagnés par “Les talks de Dieretou”, produiront des solutions locales adaptées.
Ce premier épisode a réuni des participants de nationalités guinéenne, malienne, congolaise (RDC), tchadienne, bissau-guinéenne, sénégalaise, française et togolaise.
A très vite pour le prochain épisode.
Dieretou Diallo