Conakry, sera-t-elle prochainement le phare de la littérature, du roman, du théâtre et des écritures contemporaines de l’Afrique francophone ? Le défi n’est semble-t-il, plus loin d’être relevé. D’abord avec la désignation par L’UNESCO, de la ville de Conakry comme « Capitale mondiale du livre 2017 », mais aussi grâce à une récente ébullition guinéenne culturelle et intellectuelle relativement bien remarquée à l’échelle internationale. Cette effervescence est entretenue par des auteurs et acteurs culturels Guinéens dont on n’a pas encore fini d’entendre parler.
Parmi eux Hakim Bah, 29 ans, né à Mamou et auteur de plusieurs pièces de théâtre récompensées par de nombreux prix, vient d’en raffler un énième : il est le laureat du Prix Théâtre RFI 2016. Tête à tête avec un jeune homme ambitieux que la passion tient en haleine…
Raconte-moi brièvement ton parcours, que fais-tu dans la vie à part rédiger des pièces ?
C’est aujourd’hui une activité que je réalise à plein temps. J’ai fait des études d’informatique à Conakry à l’université UNIC. En 2011, je termine mes études et j’écris de la poésie et des nouvelles. Puis j’ai découvert le théâtre, j’ai commencé à en écrire. C’était le début de l’ aventure.
Comment es-tu venu à l’écriture ?
J’ai eu le déclic lors des événements de 2005 en Guinée,le pays était en pleine instabilité politique et j’ai décidé de coucher plusieurs choses que je ressentais.
Ma première pièce s’appelle « La pelouse » rédigée dans le cadre d’un concours qui regroupait 7 projets venant de 7 pays, organisé par « Recreatrales, Résidence panafricaine de création et de diffusion théâtrale » qui a lieu tous les deux ans. J’ai été sélectionné pour une résidence à Ouagadougou. Je m’y suis rendu avec Souley Thianguel et Ibrahima Tounkara en février 2012. Cette pièce a ensuite été interprétée sur scène à Ouagadougou puis au Centre culturel franco-guinéen à Conakry.
En 2012, je n’étais pas encore metteur en scène, Souley avait sa compagnie lui, donc j’écrivais les pièces et lui les mettait en scène avec ses comédiens. Nous formions un duo assez coordonné.
Qu’est-ce qu’une résidence ? Parle-nous de celles auxquelles tu as participé.
Une résidence est une domiciliation d’auteurs, au cours de laquelle ceux-ci sont entièrement pris en charge, le temps qu’ils imaginent et créent des œuvres. On donne à l’auteur du temps et des moyens pour pouvoir rédiger une pièce.
En avril 2012, j’ai participé à la première édition de « Univers des mots » qui est une résidence organisée à Conakry. Je faisais partie des trois auteurs qui avaient été choisis. Nous avons passé deux mois de résidence accompagnés de François Rancillac, metteur en scène et directeur du théâtre l’Aquarium à Paris. J’y ai produit une pièce qui s’appelle « Ticha Ticha ». François m’a ensuite invité à Vincennes pour une autre résidence d’écriture à Paris en 2013 pour deux mois. Puis c’était au tour de l’Institut français de Paris de m’inviter à la Rochelle pour le même exercice.
Comment te viens ton inspiration, d’où la tires-tu ?
Cela varie pour chaque pièce. Je tire mon inspiration de lectures et de faits divers. Tu remarqueras que mes histoires partent très souvent du réel. Pour « La pelouse » par exemple, je me suis inspiré des frasques de Dadis Camara à la télévision nationale guinéenne (Dadis Show). « Ticha Ticha » fait un peu allusion à l’excision, j’y rappelle aussi un peu la figure de Michael Jackson.
Ma pièce intitulée « le cadavre dans l’œil » évoque le tristement célèbre Pont 8 novembre, et le Camp Boiro à Conakry. Ce sont très souvent des choses contemporaines ou des faits qui me touchent ou m’interrogent particulièrement.
Pourquoi t’es tu spécialisé pour l’écriture théâtrale ?
Ce sont les rencontres que j’ai effectuées dans ma carrière qui ont été déterminantes. J’ai commencé par la poésie et les nouvelles, j’ai publié deux recueils de poésie et de nouvelles. C’est après cela, que j’ai rencontré le théâtre. J’y ai trouvé beaucoup de liberté, c’est l’endroit où tout peut cohabiter.
Il y a tellement de générosité dans le théâtre qui fait que l’on peut y regrouper et faire tenir plusieurs choses ensemble. Il y existe une certaine facilité de réinvention. C’est un genre cependant très difficile, puisque tu donnes vie à l’interprétation, tu dois faire vivre des personnages.
Ce qui m’intéresse au théâtre, c’est la parole, comment ce que j’écris s’entend, l’oralité des choses.
Comment les ventes de tes livres se portent ?
Le théâtre ne se vend pas très bien, mes droits sont assez faibles. Je vis de mes activités d’auteurs, de résidence. J’ai entamé la mise en scène suite à mon Master de dramaturgie et de mise en scène en 2014 à Nanterre Paris X. J’ai créé ma propre compagnie et en octobre dernier, nous avons interprété l’une de mes pièces. Je gagne des prix également, ce qui fait que je parviens à m’en sortir pour le moment.
Peut-on dire que ta carrière a pris son envol en France ? Si oui, cela aurait-il été possible en Guinée dans le contexte actuel ?
Il est vrai qu’en Guinée, il n’y a pas de dispositifs d’accompagnement d’auteur alors qu’en France c’est vraiment mis en valeur. L’écriture est une activité sérieuse, il y a une écoute de cette parole là et des prix sont instaurés ça et là pour encourager toute cette effervescence, etc.
En Guinée, il n’y a aucune subvention pour les acteurs culturels. Il doit y avoir une certaine prise de conscience des autorités.
Que faudrait-il modifier et changer pour favoriser l’essor de pépites littéraires en Guinée ? (infrastructures, pratiques, etc.)
Le ministère de la culture doit être mieux outillé. On doit pouvoir accompagner les auteurs à atteindre et exploiter leur plein potentiel. Que ceux qui veulent faire ça comme métier et par passion puissent se lancer sans risques. Les dirigeants se disent souvent qu’il y ‘a des secteurs prioritaires, alors que la culture participe au développement.
Tu as gagné le prix RFI théâtre, comment cela s’est il passé ?
Il y a un appel à candidatures qui est lancé et on demande à des auteurs d’envoyer leurs textes. J’y ai envoyé ma pièce « Convulsions ». Il y a une pré-sélection qui est réalisée puis c’est un jury qui décide du lauréat.
De nombreux gains sont affiliés au prix RFI : une somme d’argent, une résidence en France, etc. Qu’est-ce que cela va concrètement changer à ta vie ?
Pas grand-chose, c’est une bourse de 1500 euros environ. Ceci dit, il y a une promotion et une médiatisation des productions de l’auteur qui est importante. L’œuvre est enregistrée à Avignon, et sera entre autres, diffusée sur les ondes de RFI. Les gens pourront l’écouter en Guinée et ça c’est une bonne chose.
J’ai effectivement une résidence à Limoges et à l’Aquarium. Mais tout cela, c’est pour m’encourager à fournir plus d’efforts.
Envisages-tu une interprétation cinématographique ou scénique de tes pièces ?
L’interprétation cinématographique ne m’intéresse pas vraiment pour l’instant. Les mises en scène ont quant à elles déjà commencé et nous y travaillons avec mon équipe basée à Paris, composée d’artistes, de techniciens, etc.
Comptes-tu retourner en Guinée ? Y as-tu des projets ?
Oui avec « L’univers des mots » à Conakry. Je m’associe avec Bilia Bah qui m’a proposé de prendre la direction artistique du festival qui sera désormais international en 2017.
Lors de Conakry Capitale Mondiale du livre, nous allons inviter des auteurs de plusieurs nationalités à Conakry. Il s’agit d’une résidence qui va aboutir à un festival sur les écritures contemporaines. Le thème de la prochaine édition est « migration ».
Quel impact veux-tu apporter au monde culturel et artistique guinéen ?
Je veux vraiment redynamiser les choses. C’est bien pour cela que je m’investis dans l’organisation du festival en question. J’aimerais aussi construire une fabrique des écritures contemporaines à Conakry. Un lieu qui serait un point de rencontres et de travail d’artistes de tous bords comme cela se faisait avant.
Que dirais-tu du rapport des guinéens avec le livre, avec la lecture ?
C’est une situation sur laquelle j’aimerais également intervenir avec la structure « L’univers des mots » qui travaille déjà avec plusieurs écoles pour promouvoir la lecture.
Le système éducatif se dégrade et il y a des choses à faire pour emmener les jeunes à la lecture. Je ne suis pas dans le désespoir, ce n’est pas seulement en Guinée que les gens n’aiment pas lire. C’était le cas au Burkina Faso quand j’y suis allé et même en France. Ne soyons pas fatalistes, nous pouvons changer la trajectoire des choses et la redresser.
Quels sont tes auteurs préférés et pourquoi ?
L’auteur norvégien Jon fosse, qui écrit essentiellement du théâtre et des romans.
Thomas Bernard qui est lui autrichien, il est très dans la répétition et c’est un style que l’on retrouve également dans mon écriture. J’aime la solitude de ses personnages, surtout pendant l’hiver. Le norvégien Ibsen et Niestche que je découvre en ce moment parce que j’ai une commande, je dois rédiger une œuvre qui doit partir de « Ainsi parlait Zarathoustra » .