Vous êtes-vous déjà demandés ce que signifiait être Guinéen ? Une question d’une apparente simplicité, à laquelle il est pourtant difficile de répondre de manière précise et circonscrite. Il y aurait tant à dire, mais par où commencer ?
Demandons-le autrement : en dehors du fait de partager un même territoire que nous nous sommes hâtés de subdiviser en régions prétendument naturelles, qu’est-ce qui fait de nous des Guinéens ? Notre histoire ? Nos références à d’anciennes gloires communes et à nos personnages illustres ? Peut-être.
Mais cela suffit-il, si ce savoir est mal ou peu diffusé et s’il ne fait pas consensus au niveau national ?
À y regarder de plus près, notre mémoire collective, surtout concernant la période post-indépendance, paraît fragmentée et ne repose sur aucun récit national inclusif. Surtout, des générations de Guinéens se succèdent, sans que leur identité nationale n’arrive vraiment à égaler, dans leur construction sociale, celle fondée sur l’ethnie ou la famille.
Je n’ai pas peur de pointer du doigt le manque d’infrastructures socio-culturelles comme l’une des raisons de ce “déficit” identitaire. Nous n’avons pas suffisamment de musées, ni de galeries ou de monuments pour nous rappeler notre histoire commune. Nous sommes un pays de tradition orale, tradition que nous revendiquons et chérissons, mais alors que le griotisme est en perte de vitesse, voire hélas en voie de disparition, n’est-il pas temps de graver ce passé dans la pierre ?
Il est devenu urgent d’organiser les conditions pérennes de la transmission de notre histoire, afin que les jeunes Guinéens s’en saisissent autrement qu’au travers de voix vieillissantes ou de livres poussiéreux. En outre, dans les périodes sombres et les catastrophes telle que la Covid-19, la culture est tout ce qu’il nous reste pour nous consoler.
J’observe les Guinéens se faire lentement acculturer par l’étranger via le processus de mondialisation, sans revendiquer fièrement leur identité, leur place, leur puissance culturelle et je m’en émeus. Laissé quasiment à l’abandon par les pouvoirs publics, le musée national de Sandervalia n’en est un que de nom, et est indigne de notre grande histoire.
Il existe si peu de respect pour les vestiges de notre passé, parfois douloureux certes mais si plein d’enseignements. Ceux-ci sont le plus souvent honteusement détruits et remplacés par du neuf.
Que reste-il par exemple du Camp Boiro, un lieu qui a marqué la vie de milliers de Guinéens ? Un camp militaire se dresse aujourd’hui là où des stèles mémorielles et un musée ouvert au public devraient se tenir.
Si la mémoire n’a pas sa place, et que les souvenirs sont balayés d’un revers de main, il ne faudra pas s’étonner que notre pays s’enfonce dans l’amnésie, avec comme conséquence la répétition des erreurs et des drames passés.
Le manque de cohésion et même d’espace de débats sur le récit historique s’est pernicieusement installé dès l’indépendance. Prenons au hasard, l’exemple le plus répandu : le premier président guinéen. À son sujet, la population guinéenne est partagée en quatre groupes : ceux qui idolâtrent Sekou Touré, ceux qui le diabolisent, ceux qui admettent ses efforts pour l’indépendance et reconnaissent également les exécutions sous son régime, et ceux qui n’en ont rien à faire, happés par les luttes quotidiennes pour la survie.
Dans cette discussion que je souhaite entamer, n’oublions pas ceux qui n’ont pas le luxe de s’autoriser à parler des affaires culturelles. Les priorités sont ailleurs, dans la possibilité de s’offrir un repas ou de scolariser ses enfants. Pourtant la culture ne devrait pas être question d’élitisme, c’est une part essentielle de notre humanité, qui nous distingue de la bestialité. Je m’adresse également à ces compatriotes qui se sentiraient exclus : ce problème est aussi le leur, et leur contribution est fondamentale.
Revenons à Sékou Touré. Une histoire aussi clivante peut-elle être objectivement restituée ? Sans même avoir essayé, nous ne connaîtrons pas la réponse à cette question. Il est du rôle de nos historiens, de nos autorités en charge de notre patrimoine, d’initier des fouilles archéologiques, de réaliser des recherches puis de mettre à disposition tout le matériau disponible, afin que chacun se fasse sa propre idée.
Des reliques du passé guinéen dorment dans des musées occidentaux sans que les Guinéens ne puissent en jouir. Une coiffe d’Almamy Samory Touré est par exemple exposée au musée de l’Armée à Paris.
Au nom d’un nationalisme bancal qui ne disposerait pas des moyens de sa politique, je n’encourage pas pour autant le retour immédiat de nos biens historiques.
Où iraient-ils ? Dans les locaux humides et ineptes de ces maisons délabrées que nous appelons « musées » par abus de langage ? Certainement pas.
Ils se détérioreraient à grande vitesse. Si le Sénégal a récemment pu récupérer le sabre d’Elhadj Omar Tall, c’est bien parce qu’une infrastructure moderne pouvant l’accueillir était déjà disponible.
Face au peu de moyens disponibles, notre stratégie doit être plus intelligente. L’une des solutions serait d’ouvrir des négociations avec les pays-hôtes de ces biens afin qu’ils nous paient le droit de les détenir et de les exposer dans leurs collections permanentes.
Les fonds obtenus serviraient ainsi à réhabiliter le Musée de Sandervalia et à en construire de nouveaux répondant aux normes de conservation. Une fois ces chantiers achevés, nous pourrions sereinement démarrer le rapatriement de nos biens.
Il est de notre responsabilité de construire une identité nationale qui embrassera toutes les autres, pour que les futurs Guinéens vivent dans une certaine harmonie. Terrasser les démons de l’ethnocentrisme passe par la valorisation de ce que nous devons collectivement être : une nation unifiée par sa culture et le respect de son histoire.